vendredi 11 octobre 2013

Double-sens cyclables, ou comment se faire des amis

Il y a environ deux semaines, j'ai appris que dans la commune limitrophe de la mienne se tenait l'assemblée générale de l'association locale pro-vélo. Comme il n'y a pas d'association semblable dans ma propre commune, j'ai pensé que ça pouvait être intéressant. Coup de bol, ça tombait le seul jour de la semaine où Darling rentrait assez tôt pour que je lui confie les enfants. Allons-y, me suis-je dit. C'est une cause qui me tient à cœur. Et qui sait, ça pourrait être un moyen de me faire de nouveaux amis.

Il faut dire que quand j'ai emménagé ici, j'ai été absolument effarée par l'état des aménagements cyclables. État qui peut se résumer en un seul mot : absence. Dans toute la commune, il y a une seule malheureuse piste cyclable mal fichue et qui s'interrompt brusquement à un moment alors qu'elle se trouve sur le trottoir, ce qui fait que le pauvre cycliste qui l'emprunte se retrouve d'une seconde à l'autre en infraction. Pour moi qui vient de Paris, ça a été un choc. Habituée à pouvoir presque toujours aller d'un endroit à l'autre en passant par des pistes cyclables, des contre-allées, ou au pire des voies de bus ouvertes aux vélos, je n'ai pas apprécié cette ignorance totale de l'existence de moyens de transports alternatifs. Même les aménagements les plus simples, comme les double-sens cyclables en zone 30, n'ont pas été réalisés. Or, depuis un décret de 2008, toutes les rues à sens unique en zone 30 devraient pouvoir être empruntées à contresens par les vélos (sauf exceptions dûment motivées au cas par cas), car de nombreuses études ont prouvé que ça n'a que des avantages, et même que contrairement à ce qu'on pourrait croire tout d'abord, ça réduit le nombre d'accidents au lieu de l'augmenter. Plus d'explications ici, par exemple.

Bref, je suis allée à la réunion des joyeux cyclistes militants. J'ai bien fait, ils avaient prévu des petits gâteaux et du jus de pomme (bio) (je vous jure). Il y avait tout au plus une quinzaine de personnes, qui se connaissaient toutes entre elles, mais il en faut davantage pour m'intimider. J'ai écouté les débats, j'ai versé mon obole pour adhérer (dix euros) (cinq verres de jus de pommes plus tard, j'étais rentrée dans mes frais). Et j'ai même pris la parole, pour raconter un peu comment ça se passait chez moi, et pour m'indigner de ces inombrables sens uniques qui m'obligent à emprunter une horrible départementale avec des voitures qui filent à toute vitesse au lieu de ruelles résidentielles où ne passe jamais un chat. J'ai ajouté que quand j'avais posé la question au maire, à la cérémonie d'accueil des nouveaux habitants de la commune, il avait expliqué qu'il était contre les double-sens cyclables (et face à cette opinion personnelle, que peuvent valoir toutes les études réalisées partout en Europe, et les règles imposées par le législateur ?), et avait même pris l'assemblée à témoin sur le mode "Vous vous rendez compte, si on respectait le décret de 2008, on ne pourrait même plus rouler tranquillement (sous-entendu, à 60 km/h) dans les sens uniques en zone 30 sous peine de prendre un vélo en face (sic !) et après on risquerait d'avoir la voiture couverte du sang du cycliste, et il faudrait la laver, franchement, vous trouvez ça civilisé, vous ?"

De manière générale, j'ai passé une bonne soirée, et les discussions étaient bien plus reposantes que celles des mômes.
Le lendemain matin, j'ai reçu un coup de fil de la part du président de l'association, avec qui j'avais agréablement bavardé la veille en sirotant mon jus de pomme.
Ça marche ! me suis-je dit. Je me suis fait de nouveaux amis !
— Oui, allô, Fofo, j'ai repensé à ton histoire de zone trente sans double sens cyclable. Ce n'est pas légal.
— Oui, je sais bien, mais qu'est-ce qu'on peut faire ?
— Déposer un recours contre le maire. On a deux mois pour le faire.
— Alors, ça doit être trop tard : les dernières zones 30 datent de cet été.
— Justement, je suis passée à la mairie ce matin pour vérifier, l'arrêté municipal a été pris le 7 août, donc il reste quelques jours pour agir. Qu'est-ce que tu en penses ?
— Du fait que l'association va attaquer le maire ? Heu, du bien...
— Sauf que pour déposer un recours, il faut prouver qu'on est concerné, sinon ce n'est pas recevable. Autrement dit, il faut résider dans la commune. Donc c'est toi qui va devoir le faire. Le cas s'est déjà présenté dans une ville voisine, nous avons une lettre modèle, je vais t'envoyer ça, il faut juste que tu l'adaptes à ton cas et que tu l'envoie en recommandée d'ici le 7 octobre, d'accord ? Tu me donnes ton adresse email ?

Et voilà comment, au cours des trois jours suivants, j'ai échangé au moins trente emails avec une demi-douzaines de personnes différentes de plusieurs communes avoisinantes, et même comploté avec des gens rencontrés en chair et en os, afin de fignoler le recours que j'ai déposé en bonne et due forme contre mon nouveau maire.
J'avais raison, adhérer à une association de militants, ça permet de se faire des amis.
Et des ennemis, aussi...


Edit : Fin de l'histoire ici.

6 commentaires:

  1. Encore une fois, Fofo, toute mon admiration.
    Je croise les doigts pour que tu remportes ton recours.

    Si tu l'as fait en ton nom propre, et si tu perds, tu risques de devoir payer les frais d'avocats du maire.

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  2. Tu penses bien que je ne me serais pas exposée à ça ! Un recours n'est pas un procès : tout ce que risque le maire, c'est de voir son arrêté annulé pour abus de pouvoir et d'être obligé à respecter la loi. Et si je perds, tout ce que je risque, c'est d'être verbalisée si je prends une des rues concernées à contresens en vélo...

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  3. Robert Marchenoir13 octobre 2013 à 14:46

    Une Parisienne arrive en province, et aussitôt elle se met à casser les pieds des indigènes, en exigeant que l'on fasse comme à Paris.

    Bien sûr, "des études" ont prouvé qu'il faut satisfaire ses moindres caprices. Les bobos ont toujours "des études" sous le bras, qui prouvent que l'eau est sèche et que le soleil brille à minuit.

    Et si jamais le bon sens ne suffit pas à reléguer ces études à leur juste place, la poubelle, eh bien la Parisienne fait appel au "législateur". Le "législateur", c'est sa manière à elle d'imposer sa volonté à ceux qui sont d'un avis différent.

    Evidemment que c'est une sombre connerie de permettre aux cyclistes d'emprunter les sens uniques à contre-sens. Un sens unique, c'est fait pour être respecté. Mais les bobotes cyclistes pensent faire partie d'une race supérieure : les lois ne sont pas faites pour elles. Il leur faut des exceptions pour faire chier le monde, et lui faire comprendre qu'elles ont davantage de droits que les autres.

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  4. J'espère que tu n'auras aucun permis à demander à la mairie ou que ce soit d'autre, le maire risque de te mettre des bâtons dans les roues. Et bienvenue en dehors de Paris....

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  5. Akane : c'est quand même une grande ville, je doute que le maire suive chaque dossier au cas par cas... Mais c'est sûr que je vais être fichée, maintenant. On verra bien !

    RM : Vous ici ? Bienvenu ! Nous nous étions connus autrefois sur Bon pour ton poil... Alors, je ne suis pas l'auteure des études, ni du décret. Mais justement, pour une fois, la loi est faite pour moi, bobote cycliste, et je ne demande pas une exception, mais au contraire que cette loi soit appliquée. Et je vous assure que les vélos sont bien moins dangereux dans une petite rue à sens unique où les voitures roulent à 30 km/h et les voient venir de loin, que sur une grosse avenue où les automobiles sont obligées de doubler les cyclistes à toute allure pour ne pas bloquer le trafic, quitte à déboîter au mauvais moment. Les double sens cyclables ont justement pour but de permettre au vélos de ne pas emprunter les grandes artères, ce qui est bénéfique pour tout le monde !
    (Et je ne suis pas vraiment en province, j'ai juste franchi le périphérique...)

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  6. J'ai habité quelques années à Avignon, dans l'intramuros, où TOUTES les rues sont à double sens pour les vélos. Je précise que je suis automobiliste, donc au début j'ai été horrifiée et terrorisée à l'idée de ce double sens...sauf qu'à l'usage, j'ai découvert que je préférais mille fois les vélos que je voyais venir en face de moi que ceux que je doublais dans les petites rues serrées.
    Voilà le modeste avis d'une conductrice sans vélo, non parisienne, ayant expérimenté la chose dans une ville pas du tout écolo ni bobo.

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