samedi 20 avril 2013

Un train d'enfer


Il y a quelques semaines, ma mère m'a proposé d'emmener le gamin à Venise. Hors vacances scolaires. Une occasion unique, une copine à elle qui lui prête son appart juste avant de le vendre. J'ai hésité, j'en ai même parlé à l'instit du Grand, et puis j'ai accepté, parce que ce seraient des vacances "culturelles", parce que le découpage en zones ne lui permettait pas de revoir sa famille grand-maternelle autrement, parce qu'il n'est parti nulle part depuis l'été dernier et ne partira pas ailleurs jusqu'à l'été prochain, et puis parce que bon, Venise, quoi.
Départ en avion demain matin, depuis la ville où habite ma mère. J'ai donc pris un billet "Junior & Cie" pour cette ville lointaine qui partait ce matin, à 9h07, ce qui me donnait le temps de l'emmener à la gare et de revenir assez vite auprès des petits pour que Darling puisse aller au boulot à l'heure, si tout se passait comme prévu.
Sauf que les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu...

Réveil à 7h27 : le Petit et les Things réclament leur biberon. Normalement, le Petit se réveille plus tôt, mais il a passé – nous avons passé – une très mauvaise nuit. Il nous faut partir vers 8h pour être à la gare avec la demi-heure d'avance réglementaire ; j'ai tout le temps nécessaire.
Une demi-heure plus tard, j'ai pris ma douche, je suis habillée, le Grand aussi, il a petit-déjeuné, pas moi mais je rapporterai des croissants au retour, la valise est prête depuis la veille, un petit en-cas en cas de retard du train, une gourde d'eau, un bouquin, c'est parti. Nous prenons le métro, c'est direct, tout se passe merveilleusement bien, nous arrivons à 8h25 devant le stand Junior & Cie. Parfait.
La dame de l'accueil nous demande son billet.
Pas de problème, il est dans la pochette J&C.
Qui devrait être autour du cou de mon gamin.
Sauf qu'elle n'y est pas.
Ni dans sa valise. Ni dans son sac à dos. Ni dans mon sac à main.
Je sais où elle est : accrochée à la poignée de porte de la salle à manger. Au début, je l'avais mise dans la valise, et puis j'ai décidé que je la retrouverai plus facilement si je l'accrochais bien en vue, juste au-dessus.

Panique. J'annonce à la dame :
— Je vais faire l'aller-retour en taxi. Quarante minutes, ça devrait suffire...
— Pourquoi n'allez-vous pas faire un duplicata des billets au guichet, plutôt ?
— Vous croyez que c'est possible ?
— En tous cas, ça vaut le coup d'essayer.
— Il n'aura pas sa carte de famille nombreuse, elle est aussi dans la pochette...
— Ne vous inquiétez pas pour ça.
Nous courons au guichet. Pendant que nous poireautons dans la queue, je me traite de tous les noms. Pourquoi ai-je mis cette pochette à part ? Parce que je me disais que comme ça, il aurait moins de chance de la perdre. C'est pour ça que j'ai mis dedans tous ses documents importants : les billets, la carte de famille nombreuse, le passeport...
Le passeport !
Le passeport sans lequel il ne pourra pas aller à Venise, demain matin !
Je réfléchis à toute allure. Y a-t-il un moyen d'expédier un passeport à l'autre bout de la France en moins de vingt-quatre heures, le weekend ? Je n'en vois aucun.
Il est 8h30. On peut encore y arriver. J'avertis la dame de J&C que nous les retrouverons peut-être dans le train. Elle ne sait pas encore sur quelle voie il sera, mais elle nous attendra jusqu'au bout. Voiture 7.

Nous traversons la gare en courant jusqu'à la queue pour les taxis. Pas de file d'attente. Dommage, j'avais préparé mentalement un plaidoyer vibrant pour qu'on me laisse passer devant tout le monde ; quel gâchis. Nous sautons dans la première voiture, j'explique rapidement la situation au chauffeur. Il démarre, placide. Me consulte sur le meilleur itinéraire à suivre. S'arrête au feu orange. Non mais c'est bien, c'est très bien, je suis plutôt rassurée de savoir qu'il ne risque pas la vie d'innocents à chaque fois que quelqu'un lui demande de le conduire en urgence quelque part. Mais franchement, il sert vraiment à quelque chose, ce feu, là ? Et cette limite de vitesse à 50 km/h, c'est du n'importe quoi. Quand je pense qu'il y a des gens qui proposent de descendre carrément à 30 km/h. Qui peut soutenir cette idée ridicule ? Moi, jusqu'à ce matin ? Ah bon ?


Nous arrivons devant la résidence. Je laisse le Grand et les bagages dans la voiture, pique un sprint sous les yeux étonnés des mémés qui vont au marché, rentre en trombe dans l'appart, explique en deux mots ce qui se passe à Darling, saisis la pochette, ressors, claque la porte. Des hurlements derrière moi. Les petits n'apprécient pas de me voir repartir aussi vite. Tant pis, Darling va les consoler. J'espère.
Je remonte dans le taxi, qui nous fait faire un détour, mais arrive néanmoins à la gare à 8h52. Je le paie, nous sortons, courons au stand J&C.
Une dame, pas la même que tout à l'heure, nous accueille avec un sourire :
— C'est le Grand, j'imagine ?
(En vrai, elle a dit son prénom, bien sûr.)
Je suis rassurée de voir que sa collègue l'a prévenue. J'acquiesce. Elle barre le dernier nom sur sa liste.
— Les autres sont déjà dans le train. Quai numéro 21, voiture 7. Bon voyage !
Il est 8h57. Nous avons encore dix minutes. J'arrête enfin de courir. De toutes façons, je n'y arrive plus, je suis en pleine crise d'hypoglycémie, à force (je n'ai toujours pas pris mon petit-déjeuner, je vous rappelle).

Quai 21, voiture 7. D'autres animateurs J&C nous attendent.
— C'est bien le Grand ? Ah, nous avons eu peur que vous arriviez trop tard !
Je suis touchée par leur gentillesse. J'embrasse mon bonhomme, il monte dans le train, s'installe ; je lui envoie encore un baiser à travers la vitre, et m'éloigne d'un pas plus calme. Tout est bien qui fini bien !

Je prends un vélib' pour rentrer, même si j'ai à peine la force de pédaler. J'achète même des croissants au passage. J'arrive à la maison à 9h30, comme prévu : Darling ne sera même pas en retard au boulot. J'ouvre la porte de l'appart, les petits viennent à ma rencontre en souriant, je m'apprête à rire de ma mésaventure devant un bol de café au lait, quand Darling s'avance :
— Fofo, je suis désolé, je viens d'avoir un coup de fil de Junior & Cie ; le Grand n'est pas parti, il faut que tu ailles le chercher...

(à suivre ici)

6 commentaires:

  1. Ouin, mais c'est horrible...

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  2. Quel suspense !

    Ma pauvre, j'imagine trop bien la scène... Le pire c'est qu'on s'efforce de tout bien prévoir à l'avance pour que les choses aillent comme sur des roulettes au moment M et que, forcément, ça ne se passe jamais ainsi...

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  3. C'est pas humain ce suspense!
    oppi

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  4. J'ai essayé de vous contacter à l'adresse indiquée, mais ça n'a pas marché. J'ai bien enlevé les points et fait les remplacements. Auriez-vous changé d'adresse mail? Merci.

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  5. Jeanne d'Arc : vous avez raison, je viens de vérifier, l'adresse ne fonctionne plus parce que je l'ai trop peu utilisée ! Je vais essayer de la réactiver.

    Les autres : la suite ce soir !

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  6. La Pucelle : voilà, ça remarche !

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