vendredi 19 avril 2013

Dialogues, guillemets et incises

C'est un roman très littéraire, un vrai bon roman, écrit à la première personne, comme une lettre ; essentiellement de la narration, mais aussi de longs dialogues. Dans la version originale, l'auteur a pris le parti de n'utiliser ni guillemets, ni tirets : les dialogues sont retranscrits librement. Exemple :
Je l'interrogeai du regard. Veux-tu venir avec moi ? lui demandai-je. C'est trop tard, dit-elle. Nous avons laissé passé le train...
Avant de commencer ma traduction, j'ai signalé cette particularité à l'éditrice. Qui m'a aussitôt répondu que pas question, les dialogues devaient être ponctués de manière classique.
Avec un peu de regrets (pourquoi aller à l'encontre du désir de l'auteur ?), j'ai donc rétabli une ponctuation normale :
Je l'interrogeai du regard.
"Veux-tu venir avec moi ?
- C'est trop tard. Nous avons laissé passé le train..."
Vous remarquerez qu'au passage, j'en ai profité pour virer la moitié des incises. Parce que dans la langue originale, c'est une succession de "dit-elle", "dit-il", "dit-elle", tout au plus entrecoupés de quelques "demanda-t-il". Répétition inacceptable en français, paraît-il. On se retrouve donc à alterner les "rétorqua-t-il", "s'exclama-t-elle", "soupira-t-il", "protesta-t-elle", "répliqua-t-il", "s'étonna-t-elle", "s'esclaffa-t-il", "s'offusqua-t-elle", et j'en passe. Ce qui n'est pas exactement léger. Donc si on peut en supprimer, on le fait.

Aujourd'hui, trois semaines après la remise de la traduction, coup de fil de l'éditrice :
— Allô, Fofo, finalement nous en avons discuté entre nous, et nous avons décidé de suivre le modèle italien, avec des dialogues non signalés par des guillemets. Je vous envoie les épreuves.
Et me voici donc avec des pages entières de :
Je l'interrogeai du regard. Veux-tu venir avec moi ? C'est trop tard. Nous avons laissé passé le train...
 Plus de guillemets, plus de tirets, plus d'incises. Ça m'a rappelé une chanson d'Émilie Jolie : "Le lecteur aura du mal à suivre, mais ça fait rien, on s'en fout !"

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