vendredi 23 novembre 2012

Charité bien ordonnée commence par soi-même

Je reçois un message me disant plus ou moins ceci :

Chère Madame,
Je m'appelle Viviane Vivemoi et je suis auteure de plusieurs romans formidables mais dont malheureusement aucun éditeur n'a jamais voulu, j'ignore pourquoi. Je les ai donc auto-édités, et à présent, j'aimerais les faire traduire en anglais pour en faire des philantrolivres, des livres dont la moitié des droits d'auteurs sont reversés à une association humanitaire. Comme je n'ai pas les moyens de financer ces traductions, je cherche des traducteurs bénévoles entre lesquels je répartirai la tâche. Bien entendu, si vous acceptez de participer, en plus d'aller au paradis pour avoir aidé les petits Biafrais, vous serez citée en dernière page en petit caractères dans les remerciements. Alors, ça vous botte ?

(J'ai modifié des éléments et le style de la lettre, mais pas le contenu de la proposition. Nom connu de la rédaction.)

Alors, en dehors du fait que 1) Faire traduire un livre découpé en petits bouts par pleins de traducteurs n'est pas l'idéal du point de vue de l'unité du style ; que 2) cette dame semble ignorer qu'on traduit toujours vers sa langue maternelle, et qu'elle ferait donc mieux de contacter des traducteurs anglais ; et que 3) je n'ai déjà pas le temps de faire les traductions pour lesquelles je suis payée (mais ça, elle ne peut pas le savoir, je vous l'accorde), il y a un petit truc qui me chiffonne :
Arrêtez-moi si je me trompe, mais cette dame demande à des inconnus de travailler gratuitement pour qu'elle puisse ensuite partager les bénéfices entre elle-même et les petits Mongols ?
En gros, c'est moi qui bosse, et c'est elle qui empoche ?
Elle souhaite être rémunéré par ses employés, c'est bien ça ? Comme si je demandais à une baby-sitter de me payer après avoir gardé mes gosses ?

Un peu chagrine, je lui fais remarquer que c'est bien gentil de parler de philanthropie, mais que personnellement je philanthrope toute seule sans son aide, merci bien, et qu'au moins, quand je donne quelques dizaines d'euros à une association humanitaire, il n'y en a pas la moitié qui est détournée au passage. Puisqu'elle souhaite faire preuve de générosité, pourquoi ne pas jouer le jeu jusqu'au bout ? Pourquoi ne pas reverser la totalité des bénéfices aux petits Mapuches ?

Réponse :

Chère Madame,
Si je diffuse mes livres gratuitement, je n'ai plus aucun revenu. Je suis auteure pour gagner ma vie.

Ah. Et moi, je suis traductrice pour passer le temps, quand je m'ennuie entre deux lessives ?

Vexée que je me méprenne à ce point sur ses intentions, elle a fini par se draper dans sa dignité :

Vous n'avez rien compris. D'accord, je profite de l'occasion pour gagner du fric sans bouger le petit doigt et essayer de me faire une renommée internationale. Mais ce n'est pas ça qui compte. Le principe est de partager les fruits de notre travail. C'est un point de vue philosophique (sic !). Mais bon, à chacun ses valeurs (re-sic !).

En effet.

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